Ouvert par les personnels, enseignant/e/s, chercheur/e/s, de l’université Paris 12, en grève à l’appel de la coordination nationale des universités, ce blog propose à tous les personnels et étudiants de Paris12 (UFR, IUT, IUFM, labos, etc.) un espace de mobilisation, d'information, de débat sur le mouvement déclenché en février 2009 contre:
- le projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs
- le démantèlement des concours de recrutement et le projet formation des enseignants des premier et second degrés
- les conséquences néfastes de la loi LRU pour les étudiants et tous les personnels enseignants, chercheurs, biatoss
- la remise en cause des statuts et des instances d'évaluation nationale
- la transformation des organismes de recherche en agences de moyens pour une recherche et un pilotage à court terme de la recherche et de l’enseignement supérieur par le pouvoir politique
- le contrat doctoral sans moyens réels
- la suppression des postes dans la recherche, l’enseignement, l’administration et les bibliothèques universitaires
- l'ouverture d'un marché du savoir et des enseignements du supérieur livré au secteur privé, commercial ou religieux.

L’Université n’est pas une entreprise, le savoir n’est pas une marchandise.
La professionnalisation à court terme n'est pas l'objectif premier de la formation universitaire.
L’investissement dans l'éducation à tous les niveaux est la plus sûre des relances.

Le gouvernement doit retirer ses décrets pour engager une véritable négociation avec les représentants des mouvements actuels et prendre en compte leurs propositions pour

- un service public de l'éducation de la maternelle à l'université accessible à tous
- une répartition égale des moyens de l'enseignement supérieur post-bac
- le développement des espaces de libertés pour l'enseignement et la recherche (libre débat, innovation, expérimentations, créations)
- des modes de recrutement et d'avancement reposant sur des critères nationaux explicites et transparents

Ce blog est modéré sous la responsabilité de la coordination des personnels en lutte et des organisations syndicales participant au mouvement.
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mardi 12 mai 2009

Pour un enseignement supérieur libre, gratuit, émancipateur.

Rappel des positions du contre sommet de Louvain (29 avril)

Alors que les mobilisations en France se poursuivent contre une politique de l’enseignement supérieur et de la recherche qui participe d’un projet de transformation néolibérale de la société, deux conceptions de l’enseignement supérieur en Europe se sont exprimées à Louvain, à l’occasion des dix ans du processus de Bologne.
La déclaration des quarante-six ministres de l’enseignement supérieur présents a défini des perspectives européennes pour 2020. Si l’objectif de « renforcer la capacité des étudiants à devenir des citoyens actifs et responsables » y est annoncé, il ne donne lieu à aucun développement. Pas la moindre proposition de mise en œuvre concrète. Par contre, le développement des compétences pour s’intégrer dans le marché du travail, puis s’adapter à ses évolutions rapides, occupe une large part du texte. De même, le terme «coopération » apparaît ici et là, alors que les notions de concurrence et d’attractivité des étudiants ou des « meilleurs » enseignants et chercheurs sont omniprésentes. Enfin, le financement public est affirmé comme un « moyen prioritaire pour assurer un accès équitable aux études et un développement autonome des établissements ». Mais la phrase suivante remet les choses en ordre : « une grande attention devra être accordée à la recherche de sources et méthodes de financement nouvelles et diversifiées ». Comprendra qui voudra.
Pour les ministres, l’objectif est explicitement la poursuite et l’achèvement du processus officiellement ouvert à Bologne en 1999. Un processus de transformation de l’enseignement supérieur en Europe dont ils jugent très positif le bilan des dix premières années.
Or, le contre-sommet s’est justement ouvert par une séance de bilan pays par pays (Angleterre, Danemark, Belgique, France, Allemagne, Espagne, Italie) qui a permis de saisir concrètement la transformation des systèmes nationaux d’enseignement supérieur : voir l’annexe ci-après. Une même direction est effectivement suivie partout en Europe. Certes, selon des modalités et des rythmes différents. Mais l’ensemble est édifiant :
- Soumission des universités à la quête de financement, à la concurrence et au pouvoir intrusif des entreprises.
- Pouvoir exorbitant des présidents.
- Augmentation des frais d’inscription des étudiants, remplacement des bourses par des prêts bancaires.
- Dans les pays les plus « avancés », réduction du nombre de cours en philosophie, lettres, sociologie, disciplines qui ont le tort de développer la pensée critique ; ou encore évolution du contenu d’enseignement faisant de ces disciplines des lieux d’adaptation néolibérale et non plus des lieux de débat contradictoire et de pensée critique.
Ce contre-sommet s’est conclu par une déclaration, qui se trouve sur le site de la Vague européenne (http://www.vagueeuropeenne.fr/), réseau organisateur du contre-sommet, composé essentiellement d’étudiants. Ses objectifs sont le développement d’un mouvement européen de résistance au processus d’asservissement de l’enseignement supérieur et la mobilisation pour « une éducation libre, gratuite et émancipatrice ».
Prochain rendez-vous, le contre G8 éducation, du 17 au 19 mai 2009 à Turin Attac Campus, qui a fait de l’enseignement supérieur une campagne prioritaire, y participera. Puis, en perspective, une mobilisation en mars 2010, à l’occasion du Conseil européen des dix ans de la stratégie de Lisbonne. En vue de cette échéance, en France s’est constitué le collectif printemps 2010 , avec pour objectif de développer un réseau européen d’organisations d’universitaires, de chercheurs ou d’étudiants, ainsi que d’associations intéressées. Il organise le 30 mai prochain, au Centquatre à Paris, une réunion publique faisant le point sur l’enseignement supérieur et la recherche dans différents pays européens, le matin, puis sur les résistances et la construction du réseau européen, l’après-midi.
Représenté à Louvain par certaines de ses organisations membres (Attac, le SNESUP, la Fondation sciences citoyennes…) le Collectif printemps 2010 (constitué d’organisations) est né indépendamment de la Vague européenne (constituée de personnes). Réciproquement la création de la vague européenne n’a pas à voir avec le Collectif printemps 2010. Mais d’emblée ces deux réseaux ont entretenu des rapports de dialogue et de soutien mutuel.
Marc Delepouve Représentant du SNESUP au contre sommet de Louvain

Annexe
Bilan : Quelques chiffres de l’OCDE (2006) :
- Pourcentage d’étudiants bénéficiant d’un logement social : Danemark, 20% ; Suède, 17% ; Allemagne, 10%, ; France, 8% ; Italie, 1,7%.
- Dépense pour l’enseignement supérieur :
Union européenne, 1,2% ; Italie, 0,8%.
- Dépense pour la recherche, c’est en Italie environ la moitié de la moyenne européenne.
- Nombre d’enseignants du supérieur : Allemagne, 115 000 ; Grande Bretagne, 126 000 ; France, 77 000 ; Italie, 50 000.

Dix ans de Bologne, pays par pays

Angleterre
Réforme :
- Les universités ne sont plus dirigées par des élus.
- Actuellement des cours sont supprimés en philosophie, sociologie…
- Les matières telles que la philosophie ou les sciences politiques subissent de la part des milieux de l’économie des pressions pour en faire des lieux ou outils d’adaptation et non pas de critique.
- L’enseignement de l’anglais langue étrangère est privatisé.
- Les universités sont financées par les étudiants à hauteur de 3000 livres en licence, et de 10 000 livres après la licence.
- Le problème des disciplines telles que la philosophie est que l’espoir de salaire à la sortie n’est souvent pas suffisant pour permettre des prêts étudiants.
- Le logement social étudiant est privatisé.
Mobilisations :
- Lors de son dernier congrès, le principal syndicat étudiant a décidé d’abandonner le principe de la gratuité des études.
- Il est difficile de mobiliser les étudiants, d’autant qu’ils sont dans une démarche de financement de leurs études, de nature investissement individuel, qui a pour conséquence une occupation à plein temps de leurs journées. D’une phrase, certains résume la situation : « Les étudiants de la classe moyenne doivent bosser dans les bars pour étudiants riches ».

Espagne
En 2004 la LOU initie la libéralisation/privatisation :
- « autonomie » comme en France et gestion financière par les établissements,
- Sélection à l’entrée,
- Développement du pouvoir des entreprises dans les décisions.
En 2005 la gauche nouvellement arrivée au pouvoir stop la LOU, puis sous couvert d’Europe amorce une relance du contenu de la LOU.
Les masters donnent lieu à des doits d’inscriptions qui sont fonction de l’offre et de la demande : plus un master est demandé, plus il est cher.

Danemark
- Non seulement les études sont gratuites mais elles donnent lieu à une rémunération : 600 euros par mois sur une période maximale de six ans. En février 2009 des manifestations se sont opposées à une réduction de cette période à 4 ans.
- Les études sont aussi gratuites pour tous les étudiants de l’Union européenne. Jusqu’à il y a deux, elles étaient gratuites pour tous les étudiants du monde. L’enseignement est en danois.
- L’intrusion des entreprises dans les universités est de plus en plus importante. Notamment, auparavant les onze membres des CA étaient ou personnels ou étudiants et actuellement c’est 2 étudiants, 2 enseignants, 1 BIATOS, 6 représentants d’entreprises.
- Le gouvernement vient d’autoriser les universités privées.
- Actuellement une mobilisation porte contre l’appropriation (brevets) par des entreprises des découvertes universitaires.

Italie
Frais d’inscription en 2006 : 1 800 euros. Mais depuis le gouvernement a donné aux universités l’autorisation de devenir de droit privé, d’où des frais d’inscription libre. Lequel est en fait rendu obligatoire par la baisse du financement de l’Etat. Ainsi les études de lettres à Florence donneront lieu à des frais d’inscription de 8 000 euros à partir de 2009. Dès 1999 le LMD fut mis en œuvre. En 2004 (gouvernement Berlusconi) une loi similaire à la LRU a été votée.
Réforme de l’école primaire, loi de 2008 :
- Retour de l’uniforme pour les élèves.
- Enseignement de la religion catholique.
- Suppression de l’école l’après midi.
- Suppression des écoles de petite taille.
- Retour à un instituteur par classe. Depuis les années 90, afin que les élèves bénéficient d’une pluralité d’approches, les enfants avaient plusieurs profs.
- Un pan de la réforme a été retiré : la séparation des élèves italiens et des migrants.
Par ailleurs, seulement un tiers des départs à la retraire de fonctionnaires est remplacé. Se développe « en contre partie » la précarité.
Mobilisation 2008 ; début octobre, des enseignants d’une école occupent leur école. De là s’est enclenché une mobilisation de tout l’enseignement. Mais les vacances de Noël verront la fin du mouvement.

Belgique
Il n’existe pas de syndicat étudiant en Belgique. L’enseignement supérieur y est communautaire : francophone / flamand. Les universités sont déjà autonomes depuis plusieurs années. Les financements sont de 80 à 90 % d’Etat.
En Belgique francophone les trois grosses universités sont en train d’absorber les petites qui gravitaient autour.
800 euros d’inscription en Belgique francophone.
Accroissement de la concurrence : les universités s’arrachent les étudiants, dont les internationaux. Les étudiants ne sont pas conscients de ce qui se passe dans leurs universités.
Université catholique de Louvain-la-Neuve : LMD en place depuis 5 ans.
Université libre de Bruxelles (ULB, publique), lieu du contre sommet :
- La philosophie et les lettres sont les plus visées par les réformes de l’ULB. En philo, passage de 20 cours par an à 12.
- Les objectifs stratégiques (officiels) du recteur de l’université : 1. Etre bien rangé dans les classements ; … ; Dernier objectif, penser la société.
- La clef de répartition des finances en fonction du nombre d’étudiants est étendue à la nomination des profs. Par exemple UN pour les lettres, DEUX pour les sciences, TROIS pour les sciences appliquées. Si bien que mécaniquement le nombre d’enseignants en lettres va en décroissant, d’où la fermeture de cours et/ou des effectifs pléthoriques.
- Solvé, l’homologue d’HEC Paris, fonctionne telle une entreprise. Elle a été fusionnée avec la fac d’économie de l’ULB. Si bien que cette fac possède maintenant des chaires privées (marchand de bière, etc.).
Deux étudiants de l’ULB ont participé très activement à la préparation du présent contre sommet. Dont l’animateur de groupe Attac campus de l’université, lequel rassemble 20 étudiants (ce qui est exceptionnel en Belgique).

Allemagne
- Les frais d’inscription n’ont dans un premier temps porté que sur les dernières années d’études longues. 2005 amorce une généralisation à l’ensemble des années. Aujourd’hui cette généralisation touche 6 régions sur 16.
- Les universités allemandes ont un Sénat : 8 étudiants, 8 enseignants, 5 BIATOS. Mais le président est nommé par une autre instance, et le renforcement du pouvoir du président à marginalisé le Sénat.
- Le mode de gestion type LRU à entraîné une modification de l’esprit du savoir enseigné.
- De plus en plus de connections avec l’entreprise, ce qui entraîne des spécialisations telles que l’armement.
- Droite/gauche poursuivent le processus de privatisation des universités.
Mobilisation :
- 2001, lutte, grève, manifestation de colère ;
- 2005, lutte plus pacifique ;
- 2006, blocage d’autoroutes, de centres commerciaux (les mobilisations contre le CPE ont inspiré les étudiants allemands).

Bilan général exprimé par de nombreux intervenants : le mouvement est déjà européen, car beaucoup de pays d’Europe y ont participé. Il lui reste à s’organiser à ce niveau. Ce qui est l’objet de la vague européenne.

1 commentaire:

  1. Lettre d'information
    Marianne2

    Trente profs répondent aux Présidents d'université
    Nous publions ci-dessous, une lettre ouverte signée par une trentaine d'enseignants de Paris-Descartes. Le Monde a refusé de publier le texte qui répondait pourtant à une tribune de seize Présidents d'université publiée par le quotidien du soir.

    Dans certaines situations, le gouvernement a su agir avec célérité pour résoudre un conflit social. En quelques heures, les pêcheurs bretons ou les gardiens de prison ont été entendus et certaines de leurs revendications satisfaites, et c'est tant mieux.
    Mais pourquoi tant d'indifférence à l'égard du mouvement des universitaires ? Pourquoi pour la première fois depuis 1968, un gouvernement français a-t-il donné l'impression de laisser pourrir sciemment un mouvement ? Pourquoi n'avoir pas su réellement mener une négociation permettant d'entendre réellement la contestation fondamentale des enseignants ?

    Les facs américaines sont-elles encore un modèle ?
    Le mouvements des enseignants de facultés porte, de fait, sur un choix décisif pour l'université et pour le pays lui-même : veut-on, à travers l'autonomie donnée aux universités et le statut de patron décisionnaire octroyé aux présidents d'université, faire évoluer le système français vers celui d'universités concurrentielles propre au monde anglosaxon ? Considère-t-on, dans les sphères gouvernementales, que le classement des universités de Shangaï, maintes fois contesté, est incontournable et que nos universités doivent devenir « compétitives » ? Doit-on rallier précipitamment ce système anglo-saxon au moment précis où il fait eau de toute part, à l'image de certaines universités américaines qui manquent cruellement d'étudiants face à la paupérisation des classes moyennes, ou de quelques autres, ruinées par leurs placements hasardeux dans des produits de titrisation ?

    De facto, ni le Ministre, et encore moins le Président de la république, n'ont su répondre aux questions essentielles posées. Et le gouvernement laisse ce mouvement devant une impasse tragique : plier devant l'indifférence du gouvernement, accepter un projet très majoritairement rejeté par la communauté universitaire, mais permettre ainsi aux étudiants de finir leur année; ou bien tenir bon et risquer d'accentuer les divisions déjà apparus ces derniers jours devant les risques d'année blanche et les menaces de suspension de traitement brandies par le ministre Valérie Pécresse.

    Un refus de publication étonnant
    C'est dans ce contexte que nous publions la lettre ouverte signée par une trentaine d'enseignants de l'université Paris-Descartes.
    Normalement, cette lettre aurait dû être publiée dans le journal Le Monde auquel elle était adressée puisqu'il s'agit en fait d'une réponse à un texte publié dans le quotidien dit de référence sous le titre « Moderniser l'Université », texte signé par 16 Présidents d'Université.

    La rédaction du Monde a jugé que ce texte ne méritait pas publication, invoquant, dans sa réponse aux universitaires, l'existence de trop nombreuses contributions.
    Un argument difficilement compréhensible pour deux raisons :
    - d'une part les universitaires en lutte ont critiqué et contesté, parfois de façon assez virulence le parti pris du quotidien ;
    - d'autre part, le quotidien aurait pu, au minimum, proposer aux universtiaires de publier leur texte sur le site lemonde.fr, pour lequel la publication n'exige ni mise en route de rotatives ni abattage d'arbres...

    Le texte des profs de Paris-Descartes, quoique l'on pense de son contenu et de sa philosophie, possède une autre vertu : celle de souligner la profondeur d'un divorce entre les universitaires et le régime. Manifestement, que les étudiants puissent ou non passer leurs examens, que le mouvement se prolonge ou qu'il finisse en queue de poisson, une chose est certaine : ce divorce-là est trop profond pour être clos ou même apaisé par quelques semaines de vacances.


    Lettre ouverte aux 16 présidents d'universités auteurs de l'article Moderniser l'Université

    Nous avons lu et relu, avec beaucoup d’attention, ce texte que vous avez cosigné dans Le Monde du 23 avril 2009. Il nous a surpris et déçus par sa faiblesse argumentative. La première raison du malaise réside dans la tentative maladroite de convaincre que les motifs de la mobilisation auraient disparu.
    Le jour même où les lecteurs de votre texte découvraient que « l'ampleur du mouvement a permis l'ouverture de négociations qui ont abouti à un retrait de fait des textes incriminés », le Conseil des ministres validait le texte de décret de modification du statut des enseignants-chercheurs pourtant si unanimement rejeté.
    Au même moment, les rares maquettes de masters d’enseignement prétendument bloquées étaient avalisées par le ministère, avec mise en oeuvre possible dés la rentrée de septembre. On apprenait aussi la publication au Journal Officiel du décret portant sur la reconnaissance des grades et diplômes de l'enseignement supérieur délivrés par les institutions canoniques dont vous demandiez vous-mêmes explicitement la modification (lettre de la CPU du 5/01/09 à N. Sarkozy).

    Votre affirmation de « sortie de crise » est donc fausse, vous le savez. Vous tentez aussi de laisser croire à une quelconque concertation existante ou ayant existé entre les acteurs de la mobilisation et les représentants du gouvernement, ce qui est faux. Ce texte qui comporte de graves inexactitudes donne l’impression d’un assemblage, plus ou moins bancal, de phrases défendant « l’Université » et d’autres défendant « nos universités ». Les premières semblent exprimer, mais à mots prudents, une sorte de souci incantatoire pour le service public que tout le monde partage ou, plus exactement, affirme et qui n’engage pas beaucoup, comme chaque parole lénifiante. Les secondes expriment, cette fois clairement, l’assimilation de « vos » universités à des entreprises que vous auriez à faire prospérer, machines à produire du savoir (s’il le faut) et surtout des diplômes (remplacez « nos universités » par « nos entreprises », l’effet est saisissant). Entreprises exposées à des revendications sociales qui les perturbent, les menacent, nuisent à leur pouvoir attractif.

    Ce sont précisément ces phrases-là qui reflètent l’idéologie entrepreneuriale (plutôt qu’un « idéal ») qui a envahi le discours des « responsables », le plus souvent à leur insu, idéologie à laquelle notre métier nous apprend à être sensibles.
    Ces « universités » qui sont « vôtres » ne sont que des fictions, des modèles «prêts à penser» bien pratiques pour raisonner de façon réflexe, ce qui témoigne précisément d’un aveuglement idéologique, le même que celui que dénoncent aujourd’hui les médecins. C’est l’ensemble des enseignants et des étudiants auxquels ils transmettent un savoir qu’ils élaborent dans leurs recherches qui sont l’Université.

    Ainsi, ce ne sont pas « vos universités » qui ont l’impératif besoin d’autonomie, ce sont les enseignants et les chercheurs : votre autonomie est gestionnaire uniquement, notre autonomie est intellectuelle uniquement. Et la première doit être au service de la seconde : votre autonomie gestionnaire est destinée à nous permettre d’enseigner et de faire de la recherche ; notre autonomie intellectuelle n’est pas destinée à moderniser votre gestion.

    Les conséquences que vous tirez des attendus de votre texte révèlent elles aussi que vos signatures ont été assemblées aux forceps : on lit d’une part une charge forte vis-à-vis du pouvoir politique. Ainsi à côté des protestations de la communauté dont vous reconnaissez la légitimité, au moins pour certaines (sans du reste préciser lesquelles sont légitimes), vous associez très explicitement l’origine de la «déstabilisation» des universités du côté des ministères, voire de la Présidence de la République : « des projets de réformes empilés, lancés le plus souvent dans la précipitation, et sans dialogue préalable suffisamment large (…), des suppressions de postes et la mise en cause des organismes de recherche ». Un peu plus loin, vous fustigez « la cacophonie institutionnelle et la confusion politique » qui empêchent l’université de progresser, ou encore l’impact négatif probable qu’il y a à faire de l’université « le champ clos de conflits politiques et sociaux qui, pour réels qu'ils soient, lui sont en partie extérieurs ».

    On trouve aussi comme grief à nos gouvernants actuels que l’Etat n’assure pas « l'égalité sur tout le territoire entre les citoyens, et entre les fonctionnaires », ou en tout cas, qu’il est nécessaire qu’il le fasse « mieux qu'il ne l'a fait jusqu'à présent ». Si nous ne pouvons que souscrire à cette indignation, la suite a de quoi consterner, et étonner, parce qu’elle n’est pas de la même eau : « il est impératif que d'autres formes d'action (...) succèdent [à la mobilisation] » ; lesquelles ? Que proposez-vous ? Il faut « que soit respecté le droit d'étudier et de travailler dans les universités »… Nous nous en chargions bien avant que vous ne soyez présidents et continuerons après : c’estnotre métier. Il est impératif « qu'une validation claire garantisse la qualité des diplômes délivrés ». Et qu’est-ce qui va garantir alors que ces diplômes seront délivrés par des enseignants qualifiés, c’est-à-dire par des enseignants qui font activement de la recherche et non par ceux que vous enverrez enseigner plus parce qu’ils ne font pas ou pas assez de recherche, conformément aux droits que vous confère le décret dont nous ne voulons pas et que vous avez laissé publier ?

    Madame et Messieurs les présidents, nous sommes mobilisés et allons le rester parce que nous savons lire et que nous savons que les « textes incriminés » n’ont pas été retirés. Certes les ministres, et la cour qui les entoure, font courir le bruit qu’ils l’ont été car ils ont l’urgent besoin d’étouffer ce conflit. Cette crise est leur échec et le vôtre, qu’on tente d’effacer de l’actualité à grand renfort de campagne de communication.

    Mais est-ce bien la fonction de présidents d’université de participer à la diffusion de cet écran de fumée ? Vous, qui affirmez haut et fort dans ce texte que vous ne pouvez « imaginer que le fonctionnement démocratique de nos universités soit mis au seul service des ordres d'un ministère ou de quelque instance nationale que ce soit », qu’avez-vous fait des intérêts de l’Université que vous servez ?
    Pourquoi les bradez-vous contre vos intérêts et les pouvoirs qu’on vous donne de gérer des « ressources humaines » ?
    Comment n’avez-vous pas compris que cette gestion qu’on vous abandonne est indigne de l’Université à laquelle vous devez vous dévouer ?
    Sans moyens pour mener à bien une politique scientifique, un président aussi bien intentionné soit-il se verra contraint d’augmenter la charge d'enseignement de ses collègues les moins armés pour enseigner. Vous prendrez la main sur notre emploi du temps, pourrez exercer tous les moyens de pouvoir, démocratiques ou moins démocratiques, pour contraindre de fait à moduler à la hausse l’emploi du temps de tels ou tels collègues.

    Cette besogne est-elle si attrayante ? Le fond du problème est que nous ne reconnaissons pas à ceux qui gèrent, même au mieux, le fonctionnement d’une université, la légitimité d’intervenir de cette façon sur notre travail : sans nous, pas d’université et d’ailleurs, nous en faisons la démonstration. Sans président, un gestionnaire éclairé permettrait l’exercice de notre fonction, sans s’y immiscer.


    Madame et Messieurs les présidents, nous assumons nos responsabilités devant nos étudiants, et devant eux seulement. Nous défendons leurs droits, nous pesons pour que prochainement leurs situations ne s’aggravent pas encore, pour que les droits d’inscription ne deviennent pas prohibitifs pour « les étudiants les plus démunis » (qui soucient ceux qui tournent autour du pouvoir uniquement lorsque cela s’avère bienvenu pour leur argumentation). Nous défendons la nécessité d’une formation libre de tout contrôle autre que celui de la rigueur de la connaissance scientifique.

    Nous nous faisons confiance les uns aux autres, Madame et Messieurs les présidents, car nous nous savons responsables et consciencieux. Nous n’avons nul besoin qu’on nous rappelle à l’ordre du haut d’une hiérarchie que nous ne reconnaissons pas.

    Nous sommes des agents de l’Etat, non ceux de « vos établissements ». C’est pourquoi nous considérons vos prises de position comme un abandon de vos fonctions de représentants élus par la communauté de vos universités. Croyez bien qu’aujourd’hui, comme demain, vous pouvez compter sur nous, nous ne lâcherons pas. Nous sommes déterminés et nombreux à l’être. La modernité n’est pas un idéal, c’est une réalité en perpétuelle évolution et la présenter comme un but à atteindre, outre que c’est encore une fiction, dissimuleces temps-ci une idéologie que les enseignants, les médecins, les journalistes, les psychologues, les magistrats, les chercheurs (qui tous savent lire aussi entre les lignes) et demain d’autres estiment calamiteuse. Ils estiment aussi que c’est de leur devoir de la combattre, obstinément.

    Bonnot Virginie, MC*
    Burkhardt Jean-Marie, MC
    Caroff Xavier, MC
    Chabert Catherine, PR**
    Chaby Laurence, MC
    Chagnon Jean-Yves, MC
    Charvillat Agnès, MC
    Cohen-De-Lara Aline, MC
    Cornillot Michèle, MC
    Coudin Geneviève, MC
    Delgoulet Catherine, MC
    Devouche Emmanuel, MC
    Doré-Mazars Karine, MC
    Duchet Clara, MC
    Dufoyer Jean-Pierre, MC
    Emmanuelli Michèle, PR
    Estellon Vincent, MC
    Girault-Lidvan Noëlle, MC
    Granier-Deferre Carolyn, MC, HDR
    Gueniche Karinne, MC
    Gyselinck Valerie, MC
    Houssier Florian, MC
    Krauth-Gruber Silvia, MC
    Missonnier Sylvain, PR
    Mouchiroud Christophe, MC
    Mouras, Marie-Josée, MC
    Nicolas Serge, PR
    Parot Françoise, PR
    Plaza Monique, CR1, CNRS, HDR
    Robert Philippe, MC
    Verdon Benoit, MC
    Vergilino-Perez Dorine, MC

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