Ouvert par les personnels, enseignant/e/s, chercheur/e/s, de l’université Paris 12, en grève à l’appel de la coordination nationale des universités, ce blog propose à tous les personnels et étudiants de Paris12 (UFR, IUT, IUFM, labos, etc.) un espace de mobilisation, d'information, de débat sur le mouvement déclenché en février 2009 contre:
- le projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs
- le démantèlement des concours de recrutement et le projet formation des enseignants des premier et second degrés
- les conséquences néfastes de la loi LRU pour les étudiants et tous les personnels enseignants, chercheurs, biatoss
- la remise en cause des statuts et des instances d'évaluation nationale
- la transformation des organismes de recherche en agences de moyens pour une recherche et un pilotage à court terme de la recherche et de l’enseignement supérieur par le pouvoir politique
- le contrat doctoral sans moyens réels
- la suppression des postes dans la recherche, l’enseignement, l’administration et les bibliothèques universitaires
- l'ouverture d'un marché du savoir et des enseignements du supérieur livré au secteur privé, commercial ou religieux.

L’Université n’est pas une entreprise, le savoir n’est pas une marchandise.
La professionnalisation à court terme n'est pas l'objectif premier de la formation universitaire.
L’investissement dans l'éducation à tous les niveaux est la plus sûre des relances.

Le gouvernement doit retirer ses décrets pour engager une véritable négociation avec les représentants des mouvements actuels et prendre en compte leurs propositions pour

- un service public de l'éducation de la maternelle à l'université accessible à tous
- une répartition égale des moyens de l'enseignement supérieur post-bac
- le développement des espaces de libertés pour l'enseignement et la recherche (libre débat, innovation, expérimentations, créations)
- des modes de recrutement et d'avancement reposant sur des critères nationaux explicites et transparents

Ce blog est modéré sous la responsabilité de la coordination des personnels en lutte et des organisations syndicales participant au mouvement.
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mardi 14 juillet 2009

Et si c’était maintenant que ça commençait ?

Réflexions de Sauvons l’Université ! sur le printemps 2009 des universités

mardi 14 juillet 2009

Le 10 août 2007 est promulguée la loi LRU (Libertés et responsabilités
des universités), adoptée à la sauvette le 1er août : prenant en charge
cette élaboration hâtive, Madame Pécresse a pu longtemps croire que la
rupture du paradigme universitaire qu’elle promouvait ainsi allait
passer sans trop de difficultés. Certes, en octobre 2007, les étudiants
engagent un mouvement dans une bonne moitié des universités françaises ;
certes, ils sont soutenus çà et là par des universitaires et des
collègues du personnel administratif ; certes, un vrai débat est lancé
dans certains des syndicats et certaines des associations de
l’enseignement supérieur et de la recherche dont l’une, SLU, voit
justement le jour à cette occasion ; certes, le débat - et le combat -
connaissent une nouvelle étape au printemps 2008 avec le mouvement lié à
la remise en cause des organismes publics de recherche. Reste toutefois
qu’il y a un an et demi, le monde de l’enseignement supérieur et de la
recherche ne s’était pas massivement saisi des questions posées par
cette nouvelle loi. Pas plus qu’il ne s’était vraiment emparé l’année
précédente des conséquences du Pacte pour la Recherche ou de la création
des deux agences nationales (ANR et AERES), dont on allait vite
percevoir le rôle essentiel dans le nouveau dispositif voulu par le
gouvernement. Toutes celles et tous ceux qui avaient tenté de mobiliser
leurs collègues durant cette période partagent sans doute ce constat.

Le premier semestre 2009 nous met devant une situation de nature
profondément différente. On pourrait l’expliquer en posant que les
acteurs de ce mouvement ont agi à la fois parce qu’ils étaient touchés
en tant que personnes et parce qu’ils étaient atteints en tant que
membres d’un corps. Du même coup, les conditions commençaient à être
réunies pour que le dossier devienne politique aux yeux d’une bonne part
des collègues concernés : comme dans tout agir politique, s’y sont
croisés ethos individuel, conscience des droits et devoirs d’un groupe
constitué et réinscription de l’université dans le champ social et
politique. Pour beaucoup, et ce n’est pas un hasard, la réforme de la
formation et du recrutement des enseignants du premier et du second
degré a joué un rôle essentiel dans cette prise de conscience, parce
qu’elle touche au cœur de la fonction sociale des universités, parce que
s’y noue de manière évidente l’ensemble de ces dimensions. Dans un
milieu éminemment individualiste, où toute explication des dynamiques et
de l’idéologie mises en œuvre dans l’université est souvent perçue avec
suspicion ou incrédulité et où la tension vers la recherche d’une «
vérité scientifique » tend à gommer toute analyse politique du monde et
de nos pratiques, ce regain d’action collective est riche de
perspectives à moyen terme. Il pourrait déboucher sur une repolitisation
du milieu universitaire. Il a d’ores et déjà refait de l’université un
objet politique.

Ce qui a changé ou l’irruption du politique dans le débat universitaire

Au terme de quatre mois de mouvement, nous devons admettre que nous ne
sommes pas parvenus à bloquer la dynamique des projets ministériels.
S’agit-il d’une défaite ? Le mouvement reprendra-t-il, et sous quelles
formes, à la fin de l’été ou plus tard ? Telles sont les deux questions
principales posées de façon récurrente depuis le début du mois de juin
par tous ceux qui ne se satisfont pas d’être enfin sortis d’une
situation que plus personne ne contrôlait vraiment.

Le propos qui suit entend moins répondre à ces deux questions que
revenir sur ce qui importe peut-être tout autant que ces réponses, dès
lors que la fin de cette histoire n’est pas encore écrite. L’évidence de
la dimension politique de ce qui s’est passé s’est imposée à une bonne
part des acteurs de la mobilisation, ce qui représente une rupture
étonnante par rapport à deux attitudes caractéristiques de notre société
qui n’épargnent pas la communauté universitaire.

D’abord, la tendance à qualifier de « politique » toute logique
revendicative globale, au sens négatif de « partisan », d’« illusoire »,
voire d’« idéologique », comme s’il s’agissait là d’une sorte
d’aberration, de grossièreté, inconvenante entre gens de bonne compagnie
soucieux de l’avenir de la science et de sa transmission. Ensuite,
l’usage impensé d’un faisceau de notions constitutives d’une nouvelle
doxa, en particulier ministérielle : « autonomie », « gouvernance », «
professionnalisation », « compétition », « classements, » «
responsabilité », « société de la connaissance », « compétences », «
évaluation », « excellence », « modernisation », « innovation »…
Généralisés de façon insidieuse, ces concepts forment un système de
valeurs qui, quasiment naturalisé, finit par relever d’un état de fait
excluant l’hypothèse et le débat. Le refus de généraliser dans un cas et
l’adhésion à une généralisation abusive dans l’autre contribuent depuis
longtemps, chacun à leur place, à la dépolitisation du discours sur
l’enseignement supérieur et sur ses réformes éventuelles.

Dès lors, la méfiance à l’égard du « politique » ainsi conçu tend à
faire de la réflexion sur l’université l’affaire des seuls spécialistes
de l’administration, voire - pire ! – à la restreindre à la gestion de
la vie universitaire, dans laquelle dominent le discours de l’expertise
et l’apparente neutralité technique du constat froid et indiscutable, ne
tolérant aucune élaboration collective. L’apparente rigueur des chiffres
remplace ainsi la pensée critique, le « bon sens » et les bons
sentiments se substituent à l’analyse contradictoire, la morgue des
certitudes solitaires à la délibération, trop lente au goût des
gouvernants. La réalité doit être simple : il faut faire croire que rien
n’est politique dans cette affaire, que tout relève du seul souci de la
bonne utilisation des deniers publics, de l’efficacité et du classement
légitime des compétences.

C’est justement cet édifice prétendument naturel qu’a remis en cause le
mouvement dans les universités du premier semestre 2009. Et il l’a fait
d’une façon doublement inattendue : par le nombre des interventions et
par leurs formes. On voulait présenter la « fronde » ou la « grogne »
(selon deux termes péjoratifs, récurrents dans les articles de presse
pour qualifier tout mouvement social) comme un caprice de privilégiés ne
se souciant que de leurs avantages acquis, un mouvement opposant des «
décideurs » responsables, soucieux du bon fonctionnement de
l’institution, à une corporation brouillonne, unie par l’agrégat de ses
intérêts individuels. En réalité, des pages d’analyses, des discussions
continues, des échanges nourris ont précisé toujours plus de quoi il
retournait. Des milliers d’universitaires ont commencé à parler d’autres
choses que de la répartition de leurs enseignements, du niveau des
étudiants ou de la nature de leurs recherches en cours. Au gré de ces
échanges, le caractère politique des « réformes » a été plus nettement
affirmé. Compte tenu de la syndicalisation très minoritaire dans le
milieu universitaire, une telle réaction a trouvé en tâtonnant ses
propres formes, souvent inédites : des expressions collectives –
éphémères, mais régulières - de la communauté et, simultanément, une
profusion d’interventions individuelles nourries par une inventivité
rare. Ces formes ont, non sans quelque paradoxe, proclamé une aspiration
légitime à une certaine radicalité (arrêter le fonctionnement de
l’université, bloquer tel ou tel lieu public, lancer des happenings en
direction des rectorats, des gares ou des péages d’autoroute) et admis
dans un même temps son impossibilité (elle eût été contraire à l’unité
large du mouvement mais aussi – et c’est un point qui mérite d’être
questionné – à l’idée que nombre de ses participants se font d’eux-mêmes).

Dans ce mouvement, on a donc beaucoup créé, pensé, écrit, envoyé, reçu,
lu, critiqué, marché,... tourné. Nous sommes incapables aujourd’hui de
dire quelles idées fortes resteront ; nous ne savons pas encore comment
penser l’articulation entre ces idées et les actions futures. Il n’en
demeure pas moins que cette production foisonnante a sans doute changé
les données de la situation. Beaucoup d’entre nous, dans l’inexpérience
même d’un mouvement qui n’avait pas de précédent, ont appris de leurs
hésitations et de leurs erreurs mêmes : c’est d’ailleurs là sans doute
la première des réponses à donner à ceux qui s’interrogent sur ce qui
restera de ce « printemps des universités ». Très vite, les débats ont
dépassé la simple question statutaire, contrairement à la présentation
univoque faite d’emblée dans de nombreux media - et peut-être aussi, il
faut l’admettre, contrairement aux premières motivations de certains
participants au mouvement. Ces débats se sont élargis à l’université en
général, ils ont inscrit les « réformes » du moment dans une histoire
longue, ils les ont confrontées à des bouleversements analogues touchant
d’autres secteurs (l’éducation nationale, l’hôpital, la justice, la
poste). A côté du statut des enseignants-chercheurs se sont imposés
d’autres dossiers et, contrairement à ce que l’on aurait pu craindre,
cet élargissement du débat n’a pas pris la forme d’un catalogue de
revendications infinies. Il a précisé le récit politique dans lequel
l’épisode statutaire devait s’inscrire. Quelques idées force ont été
reprises par ce mouvement de manière plutôt consensuelle. Une
interprétation globale des événements s’est dégagée, dont découlait une
conclusion alarmante : l’université était aussi l’un des lieux où se
déployait une politique plus générale et polymorphe de destruction
programmée de la tradition républicaine de service public. Si cette
explication donnait sens à ce qui se passait, elle rendait
symétriquement le conflit plus aigu.

Prémisses à de nouvelles analyses

La réaction du monde universitaire, qui a pu être taxée de corporatiste,
renvoie d’abord, chronologiquement, à la prise de conscience de
l’existence d’une crise sociale profonde dans l’université, liée aux
conditions de travail et de rétribution – la perte de leur pouvoir
d’achat - autant qu’à la fonction symbolique des universitaires. La
rupture de ce pacte républicain suivant lequel, en échange de
l’acceptation de conditions salariales et matérielles peu favorables, la
liberté de recherche et d’enseignement était garantie, a renforcé des
positions plus radicalement politiques, au sens premier du terme
renvoyant à l’inscription du propos dans l’analyse des nécessités, des
droits et des devoirs liés à l’appartenance à une communauté civique. Au
passage, on a commencé à revenir sur des causalités que l’on avait
refusé de prendre en compte jusqu’alors. Il a été ainsi admis que la
source de ce que nous refusions se trouvait dans les logiques mises en
place dès le Pacte pour la Recherche puis dans la loi LRU (Libertés et
responsabilités des universités). On a mieux compris en outre que la
LOLF (Loi d’orientation relative aux lois de finance), appliquée depuis
2006, avait largement contribué à imposer des processus de gestion
administrative délétères, renforçant des logiques d’arbitrages
budgétaires et de concentration des systèmes d’information et de
décision qui nourrissent la compétition entre les individus. Ainsi ont
pu être lues ou relues différemment les injonctions de l’OCDE
(Organisation de coopération et de développement économique), les
préconisations du processus de Bologne (1999) et de la stratégie de
Lisbonne (2000). Il est apparu du même coup que l’ensemble de ces textes
et de ces dispositifs avaient une part essentielle dans la gestion
ministérielle de l’université française, qui consiste à appliquer les
critères d’évaluation de la valeur marchande immédiate à un domaine qui
ne produit à court terme que des biens immatériels. Le remodelage hâtif
d’une partie du système français d’enseignement supérieur et de
recherche à partir de références contradictoires, relevant de cultures
et d’expériences radicalement hétérogènes, n’a en fin de compte abouti
qu’à produire des structures et des pratiques hybrides, bien moins
efficaces que celles qui prévalaient auparavant. En outre, probablement
parce qu’elles concernent simultanément l’enseignement supérieur, la
recherche, et l’éducation nationale, depuis la maternelle jusqu’au
lycée, les « réformes » ont fait apparaître plus nettement que jamais la
nécessité de penser la formation des élèves et des étudiants comme un tout.

L’ensemble de ces analyses ne s’est pas pour l’essentiel développé à
partir d’a priori empruntés à des questionnements portant sur d’autres
objets : il a été construit à partir des textes et de la mise en série
critique des données publiques sur l’université dont nous disposions. Du
même coup, loin d’être arraché à son espace originel (l’université), le
mouvement de mobilisation a fait émerger une synthèse qui montre le
système idéologique à l’œuvre dans ces « réformes » et le caractère
irréductible de ce même système aux valeurs que nous entendons défendre
et promouvoir. Cette prise de conscience interdisait sur le plan
tactique d’accepter la discussion de chaque dossier au cas par cas
(puisque rien ne servait d’en régler un si les autres restaient en
jachère) mais, surtout, elle battait en brèche le consensus mou portant
l’idée de la « nécessaire réforme » de l’université. Par là même, le
discours polymorphe du mouvement se substituait, sans que cela ait été
prévu, ni pensé (et donc sans que quiconque y fût prêt...) au discours
en définitive inexistant de l’opposition politique officielle au
gouvernement en place.

Une des ambivalences et une des faiblesses de notre mouvement a sans
doute tenu à cette re-politisation brutale, donc lacunaire et partielle,
qui a dû se passer de relais politiques classiques et qui s’est
construite hors d’une pratique organisationnelle de type syndical forte.
Mais cette faiblesse peut être aussi la nouveauté de ce mouvement et son
éventuel avenir. Les universitaires ne peuvent prétendre à un monopole
de la réflexion sur eux-mêmes et l’université, mais ils ont contribué à
dévoiler les motivations du gouvernement et ont donné une place à ce
sujet dans l’agenda de la politique française.

Penser la représentation

Au travers de ce qui s’est passé ces derniers mois dans l’enseignement
supérieur et la recherche (à quoi on peut ajouter les réactions de
nombreux collègues de l’enseignement primaire à la brutalité des
différentes réformes voulues par Xavier Darcos), il est clair que, pour
la première fois depuis longtemps, la droite française met en œuvre son
projet de restructuration radicale de l’ensemble du système
d’enseignement en France. Ainsi, l’un des vrais acquis de notre combat a
été de faire apparaître le caractère central de la réforme de la
formation et du recrutement des enseignants du premier et du second
degré. En s’attaquant aux sciences fondamentales, aux lettres et
sciences humaines et aux IUFM, ce projet entend non seulement éliminer
des « maillons faibles » du système éducatif, mais surtout retrancher de
la fonction publique les enseignants – qui en constituent la majeure
partie, mais ne sont pas une des clientèles électorales traditionnelles
de la droite française. S’appuyant sur la double dualité de notre
système d’enseignement supérieur – universités / grandes écoles, public
/ privé – qu’il renforce, le gouvernement est animé par une forme de
mépris à l’égard de la culture et donc de pans entiers, non productifs à
ses yeux, de l’université (La Princesse de Clèves en étant devenue la
métaphore inattendue), il utilise le discours réformiste pour attaquer
de front les disciplines critiques que sont les sciences humaines et
sociales, et il favorise activement la croissance du secteur privé,
catholique ou non, dans l’enseignement supérieur.

Pour le gouvernement, la « réforme » n’est donc en réalité pas,
contrairement à ce qu’il claironne, une nécessité administrative et le
changement ne relève pas simplement d’une décision de « bon sens » et de
retour à une rationalité de bon aloi. Le président de la République le
dit très bien lui-même quand il fait de cette « réforme » la plus
importante de son quinquennat, une priorité absolue et une urgence
tellement impérieuse qu’elle a pu justifier toutes les précipitations et
tous les raccourcis législatifs. Aucun état des lieux n’a été fait, qui
eût replacé l’université dans les systèmes français et européen de
l’enseignement supérieur et de la recherche, qui eût posé à l’ensemble
de la société la question de la place et des objectifs assignés aux
universités, notamment à l’égard du monde du travail.

Mais les réflexions produites pendant ce mouvement ont rendu impensable
pour les principaux intéressés, les membres de la communauté
universitaire, que les « réformes » s’appliquent sans qu’ils soient
consultés et consentants : ce serait là abdiquer leur fonction
essentielle d’analyse de ce qu’ils font et de ce que l’on fait au
système d’enseignement supérieur français. La méthode du gouvernement
(faire tout en même temps, très vite et sans poser les termes collectifs
du problème, ni négocier quoi que ce soit) a contribué ainsi à
délégitimer gravement l’ensemble de l’édifice législatif récent et à
faire d’une négociation globale l’exigence collective d’une profession,
pour partie révulsée par la nature des bouleversements que l’on fait
subir à l’université, pour partie indignée de la façon dont elle est
traitée. Seule cette négociation globale pourrait rendre légitime une
réforme de l’université, elle pourrait seule faire cesser cette lente
dérive vers une « douce tyrannie ».

Cette exigence de négociations nous a confrontés au problème de la
représentation du mouvement. Nous avons souffert des faiblesses de nos
forces – un mouvement ample, protéiforme, sans base syndicale large,
unie et solide - tout autant que de la détermination de notre
adversaire. Comme l’ensemble de la société, l’université et ses
organisations représentatives sont prises dans la tendance à donner la
primeur aux individus et à la protection de leurs carrières plutôt qu’à
une conception collective de leurs fonctions sociales analogues comme
membre du même corps. De ce point de vue, pas plus les syndicats, que
les associations ou les tenants du discours sur la « dignité » blessée
des universitaires n’étaient en mesure de construire l’efficacité
politique d’une action collective.

L’amertume, les interrogations, la rage et les espoirs de ces derniers
mois ne visaient pas, par un réflexe conservateur, à sauver la vieille
université, qui n’existe plus depuis longtemps. Le mouvement a pris
conscience de ce qu’est l’université aujourd’hui et a tenté d’ouvrir des
pistes permettant de penser son futur et celui de la fonction sociale
des universitaires. La massification de l’université a eu lieu ; elle a
transformé profondément sa réalité matérielle mais aussi nos pratiques,
nos analyses et parfois, malheureusement, notre perception du bien fondé
d’un accès large à l’enseignement supérieur. Cette réaction ambivalente
tient à ce que les conséquences de la hausse du nombre d’étudiants et de
l’évolution de leurs caractéristiques n’ont pas été pensées
collectivement. Or, la question qui émerge peu à peu de la réflexion que
les universitaires ont débutée au printemps ne porte pas sur le fait de
savoir si l’université accueillerait trop de jeunes gens mais sur les
conditions nécessaires pour qu’elle continue de le faire en demeurant
l’université. L’université doit permettre un accès encore élargi de
groupes sociaux nouveaux à l’enseignement supérieur, et accomplir par là
les promesses de sa démocratisation inachevée. Cela passe, entre autres,
par le développement de pratiques démocratiques dans les relations entre
ses acteurs et par un engagement à repenser collectivement la production
et la transmission du savoir et des connaissances dans la société.
***

Ces longs mois ont donc permis d’engager un processus de réflexion sur
ce que pourrait être une autre université. C’est en partie dans cette
nouveauté et cette altérité que réside l’enjeu de la repolitisation du
dossier qui est ici notre propos. Il n’y aura pas de véritable réflexion
sur les moyens de réformer l’université sans prise en charge du
caractère nécessairement politique d’une telle réflexion. Pas plus qu’on
ne saurait réduire l’action politique à la manifestation ou à la rue, on
ne peut réserver la réflexion à la sphère purement intellectuelle,
séparée des mouvements sociaux, pour la proposer ensuite comme discours
d’expertise à ceux qui seraient les véritables acteurs de la réforme –
le pouvoir exécutif, l’administration. De même que le discours
d’expertise ne peut être réservé à quelques sommités plus ou moins
proches des réalités universitaires, le discours de l’action politique
ne saurait être capté par les rhéteurs de la radicalisation. Toute
polarisation des lieux, des formes et des organisateurs du débat
continuerait à laisser à l’extérieur de celui-ci la majorité des acteurs
de la mobilisation.

Redonner sens au politique, sur la foi de la prise de conscience qui
s’est opérée, c’est réinvestir tous les moments et lieux de la vie
universitaire et sociale. C’est continuer sans relâche d’offrir une
pensée critique aux étudiants. C’est enfin, tirant les leçons des
mouvements de ces dernières années, réfléchir au rapport entre la
réflexion sur l’université et ce à quoi elle sert de manière à ne pas
laisser au seul pouvoir exécutif la responsabilité de traduire en termes
politiques les problèmes de l’enseignement supérieur et de la recherche,
et plus généralement du système d’éducation publique en France. Cela
impose donc non seulement de construire la force politique d’une
réflexion collective, mais aussi de prendre constamment en charge les
propositions, les lieux d’où elles viennent et les usages qui en sont faits.